Dans une société marquée par l'incertitude, l'évaluation est devenue omniprésente, souvent présentée comme bénéfique pour les individus et la société, tout en servant les intérêts du marché. Pourtant, cette pratique est intrinsèquement liée à des dynamiques de pouvoir, où l'évaluateur exerce une forme de violence symbolique sur l'évalué. Historiquement, l'évaluation a été utilisée pour maintenir les hiérarchies et les identités figées. Dans notre ère postmoderne, bien que les frontières aient évolué, l'évaluation continue de servir les idéologies néolibérales, en particulier celles qui favorisent la survie des plus compétitifs économiquement.

L'évaluation de l'interculturalité est souvent justifiée par la nécessité de définir les besoins d'apprentissage et d'orienter les individus vers une certaine idéologie. Les modèles d'évaluation, principalement développés en Occident, sont imposés comme universels, malgré leurs fondements idéologiques spécifiques. D'autres modèles locaux existent, mais leur authenticité est souvent discutable, comme en témoigne l'exemple d'une équipe de l'Université Tsinghua en Chine, dont le modèle prétendument "chinois" s'avérait calqué sur des modèles occidentaux comme les modèles de Byram (1997) et de Deardorff (2008). 

Il est révélateur que l'évaluation de la compétence interculturelle se concentre principalement sur les expatriés d'affaires, les cadres supérieurs et les étudiants internationaux, soulignant une dimension financière dans le processus. Les migrants économiques, en revanche, sont simplement sommés de s'adapter, sans être évalués. Les méthodes d'évaluation varient, incluant des outils standardisés, des entretiens, des études de cas et des auto-évaluations, mais toutes ces approches sont marquées par des biais idéologiques et contextuels.

L'évaluation de l'interculturalité pose un problème fondamental : elle repose sur des performances observables, qui ne reflètent qu'une partie de la réalité sociale et humaine. Les individus peuvent manipuler, simuler ou dissimuler leurs véritables pensées et sentiments, ce qui rend toute évaluation intrinsèquement limitée. En fin de compte, évaluer l'interculturalité donne l'illusion que nous pouvons contrôler et mesurer des aspects aussi complexes et nuancés de notre humanité.

L'Autobiographie Interculturelle : Entre Authenticité et Idéologie

L'autobiographie interculturelle est un autre domaine complexe, souvent mal compris. L'idée que l'autobiographie est un reflet authentique de soi est un mythe. En réalité, elle est influencée par les relations sociales, les impressions, et une mémoire sélective et faillible. De plus, l'autobiographie est souvent orientée par le contexte dans lequel elle est écrite, que ce soit pour soi-même, pour un public restreint, ou pour une publication posthume. L'idée d'une "hétérographie" — une autobiographie pour et avec les autres — semble plus appropriée pour capturer la nature collective et relationnelle de nos vies.

Dans le contexte de l'interculturalité, la mémoire joue un rôle crucial mais trompeur. Nos souvenirs d'interactions interculturelles sont souvent influencés par le temps, l'espace, et les dynamiques sociales, ce qui complique davantage la notion d'une autobiographie "vraie". L'autobiographie de rencontres interculturelles, telle que proposée par le Conseil de l'Europe, est un exemple de cette problématique. Bien qu'elle soit présentée comme un outil éducatif, elle véhicule en réalité des idéologies spécifiques qui orientent la réflexion des utilisateurs de manière étroite.

L'utilisation des autobiographies dans l'éducation interculturelle, bien qu'elle ait un potentiel réflexif, pose des questions éthiques et idéologiques. Il est crucial de considérer les enjeux sous-jacents lorsqu'on introduit ces pratiques dans le cadre éducatif, et de reconnaître que l'interculturalité, en tant que notion complexe et multiforme, ne peut être réduite à des récits autobiographiques guidés ou à des modèles d'évaluation rigides. Les enseignants et chercheurs doivent être conscients de leur propre engagement dans ces dynamiques interculturelles et ne pas négliger l'influence de leur propre subjectivité dans leurs travaux.

Conclusion

En conclusion, que ce soit par l'évaluation ou par l'autobiographie, l'interculturalité ne peut être pleinement capturée ni mesurée par des méthodes traditionnelles. Elle reste un domaine où la subjectivité, les dynamiques de pouvoir et les complexités humaines jouent un rôle central, exigeant une réflexion critique et une prise de conscience des limitations inhérentes à toute tentative de formalisation.

Modifié le: samedi 21 septembre 2024, 10:12