Lieu : Dans une voiture garée devant un restaurant chinois. (Nota Bene : le dialogue a été réécris, pour des raisons auteurs)

Darius est installé avec une boîte de nouilles Lo Mein, mangeant tranquillement, tandis que les deux hochent la tête au rythme de "Paper Boy" qui passe à la radio.

ALFRED
(regardant Darius)
— Yo, monte un peu le son.
(au téléphone, s’adressant à Earn)
— "Paper Boy". Ils passent ça en boucle depuis une heure, sérieux.

DARIUS
enthousiaste
— T.P.B., man ! Team Paper Boy pour la vie !
(après un instant)
— Dis-leur aussi que j'ai fait les croquis des téléphones-rats.
Il sort un croquis et en prend une photo rapide.

ALFRED
au téléphone, à Earn
— Darius veut t’envoyer son dessin du téléphone-rat. Ça te va ?

EARN
(légèrement surpris)
— Euh... ouais. Pourquoi pas.

ALFRED
— Hé, ça donne vraiment bien à la radio. Merci pour tout.

EARN
— Je fais juste de mon mieux, tu sais.

ALFRED
— Je vois ça. On pourrait peut-être se poser un de ces jours, parler un peu, voir si t’as d’autres idées en tête.

EARN
— Genre, dans le style "manager" ?

ALFRED
— Genre, "calme-toi et on verra".

(Earn esquisse un sourire de l’autre côté du fil. À ce moment-là, Alfred aperçoit une fille qui passe devant la voiture.)

ALFRED
(en s’adressant à la fille qui passe)
— Hé, bébé ! C’est moi qui passe à la radio, là !

FILLE
(hors champ, sans s’arrêter)
— Et alors ?

ALFRED
(agacé, à la fille)
— Bah va te faire voir, alors ! Sale meuf.

DARIUS
(à la fille, en ajoutant)
— T’es même pas si mignonne ! Fausse instagrameuse de pacotille.

ALFRED
revenant au téléphone, à Earn
— Ouais mec, tu fais quoi demain ?

EARN
— Pas grand-chose. Je dois essayer de récupérer mon taf. J’ai explosé tout mon fric aujourd’hui.

ALFRED
(réfléchissant, puis avec un ton sérieux)
— Bon, attends une seconde, y a un truc qui se passe. Je te rappelle plus tard, ok ?

Qui parle de cette manière ? Les personnages de Atlanta. Est-ce différent du langage ordinaire et quotidien ? Donald Glover a réussi à écrire un dialogue qui semble authentique. Qu'il le soit ou non, il sonne juste. La majorité des personnages dans Atlanta sont des Afro-Américains vivant à Atlanta. Pourquoi sommes-nous attirés par ce dialogue ? Eh bien, nous ne le serions peut-être pas si la vie d'un rappeur afro-américain en pleine ascension ne nous intéressait pas. Mais si c'est le cas, ou si nous fantasmons de nous mettre à la place de ce type de personnage, nous prenons plaisir à ce qui nous semble être un échange authentique. De même, si nous sommes intéressés par le parcours d’un ancien étudiant de Princeton, comme le personnage d'Earn qui lutte dans ce paysage urbain, nous serons d'autant plus enclins à le regarder naviguer dans un environnement qui, pour beaucoup de spectateurs, paraît à la fois inconnu et potentiellement dangereux.

Si nous ne sommes pas Afro-Américains, ou même si nous le sommes mais que nous ne venons pas de cette communauté en particulier, nous avons soudainement accès à un autre univers, avec ses propres sons, langage et codes de comportement. C'est là toute la puissance du dialogue : même à l'écrit, il peut évoquer une culture entière. Pourtant, les rêves, les aspirations et les frustrations exprimés dans cet extrait de dialogue sont universels : le désir de réussir, l’importance de l’opinion des autres, et la lutte quotidienne pour avancer. À travers ce court dialogue, le personnage d'Alfred se renforce. Il est ambitieux, reconnaissant, vulnérable, loyal, et profondément humain.

Même si His Girl Friday et Atlanta semblent être à des années-lumière l’un de l’autre à presque tous les niveaux, ce sont tous deux des exemples de dialogues captivants qui paraissent vrais. Pourtant, à moins de faire partie de la réalité très spécifique de ces personnages, ces dialogues ne ressemblent pas tout à fait à des conversations réelles. En analysant la différence entre les conversations réelles et le dialogue scénarisé, il y a quelques éléments à garder à l’esprit. Premièrement, parfois, il n’y a pas de différence. Parfois, certains aspects d’un dialogue scénarisé sonnent exactement comme les gens parlent, comme nous nous parlons les uns aux autres.

Dans la conversation réelle et non scénarisée, le langage peut être désordonné, rempli de non-sens, de questions sans réponse, de phrases incomplètes, de mots isolés, d’interruptions, de coupures et de pauses. Il peut aussi contenir des mots incompréhensibles, des phrases mal construites, ou des mots mal utilisés. Le langage quotidien est souvent agrammatical et illogique. Quand les gens parlent vraiment, ils ressentent souvent le besoin de fournir beaucoup d’informations avant d’arriver au cœur de leur propos.

En parlant, les gens n’utilisent pas que des mots. Ils jouent sur le volume, la hauteur, le timbre et l’intonation. Ils utilisent des expressions faciales, des mouvements corporels et des gestes. Ils expriment aussi des émotions : tristesse, exaltation, joie, réflexion, et bien d’autres encore. Il est facile d’imaginer que si quelqu’un se mettait à pleurer ou à rire en plein milieu d’une conversation, cela affecterait le dialogue. Cela modifierait et renforcerait non seulement le sens des mots, mais aussi l’intention même de la communication.

Tout cela, bien sûr, est également réalisé par les acteurs lorsqu'ils récitent un dialogue scénarisé. En tant qu’écrivains, nous tentons d’indiquer, soit par des indications précises, soit par le contenu des mots eux-mêmes, la manière dont les acteurs doivent interpréter et jouer le dialogue. Les acteurs talentueux apportent des nuances et des variations que nous n’avions peut-être même pas imaginées. Quelle est la différence entre la fonction et l'objectif d'un dialogue ? La fonction du dialogue est de communiquer. L’objectif est de transmettre l’intention à travers le contenu de la communication elle-même.

Última alteração: sábado, 9 de novembro de 2024 às 10:02