Points clés :

  1. Auteur procédural :

    • Le rôle de l'auteur ne consiste plus uniquement à écrire une séquence linéaire d'événements, mais à déterminer les événements possibles, à fixer des règles qui façonnent le récit et à définir les modalités de participation des utilisateurs.
    • L'auteur conserve un certain contrôle sur le récit tout en permettant une liberté d'exploration pour les utilisateurs, créant un pacte communicatif entre auteur et utilisateur.
  2. Transformation de l'autorat :

    • La notion traditionnelle de l'auteur solitaire est remplacée par un modèle plus collaboratif. Dans ce contexte, l'auteur procédural travaille avec des graphes et des règles, ce qui est une évolution des pratiques d'auteurs classiques comme Flaubert, qui préparait des croquis détaillés de ses personnages.
    • Ce modèle n'est pas unique aux récits interactifs. Dans les films, séries télévisées et jeux vidéo, la créativité est souvent le résultat de collaborations complexes. Le public reconnaît souvent les productions d'un studio (ex. Pixar, Electronic Arts) plutôt que d'un seul créateur, montrant l'acceptation de cette créativité collective.
  3. Collaboration interdisciplinaire :

    • L'écriture interactive nécessite une collaboration étroite entre différents acteurs : écrivains, programmeurs, designers. Les frontières entre ces rôles sont floues, chacun devant adopter une approche interdisciplinaire. Par exemple, l'écrivain participe à la conception des algorithmes narratifs, tandis que le programmeur doit respecter les règles du genre narratif.

Voici un tableau comparatif entre l'auteur traditionnel et l'auteur procédural :

Auteur Auteur procédural
Écrit la séquence des événements Écrit les événements et les règles de séquençage
Écrit les actions des personnages Décrit les caractéristiques des personnages et une bibliothèque d'actions
Détermine les répliques à livrer Décrit le type de répliques qui peuvent être livrées
Décrit le monde fictif Écrit la logique qui régit le monde fictif
La narration est linéaire La narration est multilinéraire, hypertextuelle, générative

Le rôle de l'auteur dans la narration interactive est profondément transformé, passant d'un créateur individuel à un collaborateur multidisciplinaire, engagé dans la conception de récits interactifs complexes. Cette évolution remet en question la notion traditionnelle d'autorité créative et met l'accent sur la co-création et le contrôle partagé du récit.

Personnages ou histoires

Dans les formes les plus avancées de narration interactive, les tâches de l'auteur sont non seulement réparties entre différentes personnes, mais aussi spécifiquement assignées à chaque élément constituant l'œuvre interactive finale. Dans ce type de narration « intelligente », l'auteur utilise un langage pouvant être traité par machine pour créer le contenu, décrivant les différents éléments narratifs tels que les personnages, le cadre, la nature des événements et une possible conclusion.

Ce concept de traitement séparé des éléments narratifs ravive un débat ancien, notamment illustré par les réflexions d'Aristote dans sa Poétique, qui affirmait que le plus important dans une tragédie est l'intrigue, c'est-à-dire l'agencement des événements. Au XVIIe siècle, les dramaturges Racine et Corneille adoptaient des approches opposées : Racine favorisait des personnages complexes avec une intrigue simple, tandis que Corneille préférait des personnages simples avec une intrigue complexe.

Dans la littérature moderne, les auteurs sont souvent divisés entre ceux qui estiment qu'une bonne histoire provient d'une création minutieuse des personnages et ceux qui croient que la clé réside dans une intrigue bien ficelée. Ce débat, qui peut sembler spéculatif dans la littérature traditionnelle, prend une importance particulière dans le cadre de la narration interactive. En effet, dans ce domaine, les processus de création de personnages et de développement de l'intrigue sont conceptuellement et pratiquement séparables.

Lors du développement d'un système informatique pour la narration interactive, il est possible de modéliser un nombre fini d'agents, éventuellement en ajoutant une composante simulant des émotions, qui sont capables d'effectuer des actions significatives et rationnelles pour atteindre une certaine qualité dramatique. À l'opposé, il est également possible de définir les types d'actions autorisées, les relations et les conséquences, ainsi qu'une direction générale vers laquelle se diriger, de sorte que l'ensemble des actions crée l'illusion d'un personnage.

la modélisation centrée sur les personnages et la modélisation centrée sur l'intrigue :

Caractéristiques Modélisation centrée sur les personnages Modélisation centrée sur l'intrigue
Génération de comportements Génération automatique de comportements donnant l'impression d'un agent autonome et crédible, capable de répondre de manière appropriée aux interactions de l'utilisateur (intentions et émotions). Les événements sont générés selon un système de planification, de sorte que le récit se déroule différemment à chaque fois que l'histoire interactive est jouée.
Personnalité des personnages Les personnages intelligents sont des agents avec une personnalité spécifique qui participent à un scénario contenant seulement quelques instructions générales à suivre. L'interaction utilisateur se fait avec un récit composé d'actions et d'événements qui suivent une certaine grammaire ou un ensemble de contraintes.
Structure de l'intrigue Structure d'une intrigue évolutive et modulaire construisant un arc dramatique de tension, où l'utilisateur interagit avec des personnages prédéfinis. Le récit interactif est représenté comme un diagramme qui définit chaque action possible.

Ce débat ne consiste pas à choisir entre les personnages et les intrigues, mais plutôt à prêter attention aux divers aspects du design que les auteurs doivent considérer. En particulier, lorsqu'il s'agit de narration interactive impliquant l'intelligence narrative, la génération automatique de contenu et la conception d'agents artificiels, il est crucial de comprendre les possibilités associées à ces deux modèles de design, afin de tirer des insights et des solutions pratiques de chacun.

Le champ d'investigation

Le domaine de la narration interactive présente des défis significatifs pour l'analyse et la catégorisation en raison de sa nature hybride, mêlant récits et entités procédurales numériques. Selon Koenitz et al. (2015, p. 69) sur le sujet, l'évolution rapide des technologies informatiques complique davantage cette tâche, en contrastant avec les médias traditionnels dont les technologies de base se développent plus lentement.

Catégorisation des contenus narratifs

Dans ce contexte, il est proposé de diviser la conception du contenu narratif en deux grandes familles :

  1. Navigation : Les systèmes gèrent du contenu existant, soit créé spécifiquement pour le système, soit obtenu de sources externes.

  2. Génération : Les systèmes génèrent le contenu narratif, comme des systèmes capables de rédiger des histoires en langage naturel ou des jeux de simulation où le monde est développé en fonction des décisions du joueur.

Approches hybrides

Il existe également des approches hybrides où la computation joue un rôle dans le séquençage, la génération et l'organisation du contenu. Plus l'algorithme a d'autonomie dans la génération de l'histoire, plus il est nécessaire de distiller et d'encoder les éléments narratifs. Cette nature informatisée permet l'automatisation des processus narratifs, rendant possible une réponse cohérente à la variabilité des événements racontés, y compris les actions des utilisateurs.

Expérience utilisateur

Bien que l'expérience participative soit incluse dans le champ d'étude, elle résulte d'un ensemble complexe de choix créatifs et de solutions technologiques. Par conséquent, l'expérience utilisateur ne devrait pas être considérée comme un point de départ prescriptif pour le design, mais plutôt comme un objectif parmi d'autres, influencé par des contraintes économiques, politiques et technologiques.

Le texte souligne que l'expérience utilisateur est toujours spécifique, locale et transitoire. Bien qu'une perspective historique puisse suggérer de nouvelles catégorisations pour la participation des utilisateurs, ces dernières sont le résultat d'analyses basées sur des pratiques existantes. L'auteur encourage à reconnaître la complexité du champ d'investigation et à adopter une approche large quant à la participation des utilisateurs dans l'histoire, dépassant les frontières traditionnellement établies du récit.

Bases de données, narration et contenus vidéo

Le domaine de la narration basée sur les bases de données englobe divers systèmes capables de traiter indépendamment des contenus existants (textes, graphiques, multimédia). Contrairement aux modèles narratifs hypertextuels ou génératifs, la narration émerge ici de règles de requêtes, s’apparentant ainsi aux bases de données. Ce modèle de narration ne se situe pas simplement entre les deux modèles généraux, mais lui est orthogonal. Par exemple, une hypertexte peut être générée par une requête spécifique dans une base de données, ou la base de données peut contenir des comportements d'agents qui produisent une narration en réponse à des requêtes appropriées.

Fondements de la narration basée sur les bases de données

Les origines de la narration basée sur les bases de données se trouvent dans les travaux de figures telles que Glorianna Davenport, Lev Manovich et Florian Thalhofer.

  • Glorianna Davenport a dirigé le Interactive Cinema Group au Media Lab, où elle a développé des documentaires interactifs comme ConTour et le documentaire Boston: Renewed Vistas (1995). Ces œuvres permettent au contenu vidéo d’être assemblé selon les choix du spectateur.

  • Lev Manovich a proposé des solutions théoriques et techniques, définissant le cinéma de base de données à travers l'installation Soft Cinema. Ce projet vise à utiliser une vaste base de données de clips vidéo pour produire un nombre potentiellement illimité de courts métrages.

  • Florian Thalhofer, avec son logiciel Korsakow, a fourni un outil interactif pour les vidéos. Korsakow permet aux utilisateurs de définir des règles de liaison entre différents clips vidéo sans imposer un ordre fixe, laissant leur arrangement dépendre des décisions du spectateur.

Applications de l'organisation autonome du contenu

L’organisation autonome du contenu a principalement été utilisée dans les archives vidéo, permettant la création d'œuvres dont le montage est fait de manière autonome par l'ordinateur, selon les demandes explicites ou implicites du spectateur. Cette capacité à naviguer à travers différents contenus a également trouvé des applications au-delà du paradigme du traitement de données.

Exemples historiques et contemporains

Un des premiers exemples de narration vidéo interactive remonte à 1991 avec Mörderische Entscheidung, un thriller diffusé simultanément sur deux chaînes de télévision, offrant aux spectateurs deux perspectives sur le même récit. D'autres expériences similaires ont suivi, comme D-Dag en 2000, où une histoire de braquage de banque était diffusée sur quatre chaînes différentes. Plus récemment, le projet Accidental Lovers (2006-2007) a permis aux spectateurs d'influencer le développement de l'intrigue par des SMS, où le scénario était modifié en fonction des mots-clés envoyés par le public.

Le projet le plus connu de fiction interactive à la télévision est sans doute l'épisode Bandersnatch (2018) de la série Black Mirror, où les spectateurs choisissent entre plusieurs actions, influençant ainsi le développement et la conclusion de l'intrigue.

Délimitation du champ de la narration interactive

Difficultés de distinction entre narration basée sur des bases de données et télévision interactive

La frontière entre la narration basée sur des bases de données et la télévision interactive est de plus en plus floue, surtout avec l'évolution des technologies telles que les CD, DVD et le streaming. Ces avancées permettent aux spectateurs d’interagir avec la fiction de multiples façons, en passant d'une scène à l'autre, en accédant à des informations supplémentaires ou même en modifiant le contenu. Selon Hales (2015), la définition de ce qui constitue un film interactif a évolué, rendant difficile une catégorisation simple de l’interactivité. Le champ de la narration interactive est vaste et complexe, englobant divers formats et œuvres.

Modèle général d'analyse

Pour aborder cette complexité, un modèle d'analyse général de la narration interactive est proposé. Ce modèle se veut une référence idéale pour une analyse basée sur les composants des systèmes de narration interactive. Il identifie trois composants principaux, récurrents dans la plupart des applications de narration interactive :

  1. Gestion de la séquence : Cela implique la création et la navigation des séquences narratives et de leurs unités compositionnelles, que ce soit de manière automatique ou manuelle.

  2. Actions et agents : Cela concerne la représentation des agents qui agissent dans l’histoire et les actions qu’ils peuvent accomplir. Dans certains cas, les actions sont considérées comme le composant de base, avec des agents affectés comme participants.

  3. Engagement et interactivité : Cela englobe les modalités par lesquelles le public peut vivre et s’engager dans l’histoire.

Éléments du monde narratif

Chaque projet de narration interactive suppose une description, explicite ou implicite, du monde narratif. Ce monde est généralement défini par les objets qu'il contient et leurs attributs significatifs, ainsi que leurs comportements et attitudes individuels. Il est crucial que le monde narratif inclue des conventions de genre (drame historique, fantasy, thriller, etc.) et des références intertextuelles, qui sont souvent des connaissances partagées et ne nécessitent pas d'être encodées formellement dans le système.

Éléments dynamiques

Le système nécessite une liste ou un répertoire de tous les éléments dynamiques qui contribuent à l’histoire et des relations entre eux. Ces éléments doivent être codés explicitement dans un langage formel. Ils incluent non seulement les personnages et leurs comportements, mais aussi les unités narratives et leur regroupement.

Moteur narratif

Pour créer une histoire à partir des éléments listés, un moteur narratif est nécessaire. Ce moteur est chargé de sélectionner et d’organiser les éléments disponibles (événements, actions, comportements) en un tout cohérent, selon les règles du monde narratif et la logique narrative. Il doit également tenir compte des interactions avec l'utilisateur.

Affichage

La conception de l'histoire interactive doit considérer le langage dans lequel l'histoire est présentée, ainsi que le dispositif par lequel la narration se manifeste au public. Le terme « affichage » englobe l'ensemble des composants qui qualifient l'expérience de l'utilisateur en termes d'engagement narratif et d'interaction. Cela inclut l'interface, le design d'interaction et la manière dont le système gère l'implication émotionnelle du public.

Interrelation des composants

L’expérience d’une narration numérique interactive résulte de l’interaction bien orchestrée de ces quatre éléments. Chaque composant peut acquérir une importance variable selon le cas, et leur conception doit se faire de manière parallèle pour garantir une cohérence. Chaque composant doit respecter les caractéristiques des éléments qu'il organise en séquence, en suivant des règles qui sont en accord avec le monde narratif et les éléments dynamiques du système.


Modifié le: jeudi 3 octobre 2024, 11:24