Les implications de l'initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie (BRI)
L’analyse des implications de l'initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie (BRI) dans le cadre de la transformation de l'État révèle une réalité bien différente de celle perçue par les approches réalistes classiques. Les théories réalistes présentent souvent la BRI comme une stratégie géopolitique mûrement réfléchie, visant à remodeler l'ordre régional et global sous l'influence chinoise. Elle serait perçue comme une tentative de défi à l'hégémonie américaine, voire un acte de "néo-impérialisme" chinois cherchant à dominer le monde.
Cependant, en adoptant une perspective basée sur la transformation de l'État, cette vision apparaît simplifiée et trompeuse. L'initiative BRI n'est pas une stratégie imposée de manière rigide et centralisée, mais un ensemble de projets émergeant d'intérêts divers et fragmentés au sein même de la Chine. Au départ, la BRI n’était qu’un slogan vague ("One Belt, One Road") formulé en 2013 par le gouvernement chinois, avant d’être façonnée par divers acteurs économiques et politiques, notamment les gouvernements provinciaux chinois qui ont intégré leurs projets locaux dans cette initiative, souvent pour stimuler la croissance économique locale. Cette diversité des projets, parfois en gestation depuis les années 1980, n’a pas de finalité géopolitique clairement définie, et la BRI est devenue une plateforme globale plutôt incohérente, reflétant des intérêts fragmentés plus que la mise en œuvre d’un plan stratégique unifié.
En pratique, l’initiative s’articule autour de deux grands objectifs économiques : relancer la croissance en Chine en résolvant les problèmes de surcapacité industrielle et donner un nouveau souffle aux entreprises publiques chinoises, notamment dans le secteur des infrastructures. La grande majorité des projets BRI ne visent pas à créer de nouvelles normes internationales mais plutôt à répondre aux besoins économiques internes de la Chine et à stimuler les entreprises d'État. De plus, les investissements dans le cadre de la BRI ne sont pas systématiquement orientés vers les pays du programme, et une grande partie des projets sont déterminés par des besoins internes ou des demandes des pays bénéficiaires, qui sollicitent l’aide chinoise pour des raisons diverses, souvent liées à des intérêts économiques locaux ou à la politique de redistribution.
Cette approche éclaire des exemples concrets où la vision réaliste échoue à expliquer les réalités du terrain, notamment dans des projets comme le port de Hambantota au Sri Lanka. Ce projet, souvent cité comme preuve de la "diplomatie du piège de la dette" de la Chine, est en réalité un exemple de mauvaise gestion, de corruption et de décisions peu stratégiques prises par les autorités sri-lankaises, bien avant que l’initiative BRI ne soit lancée. Ce projet a plus résulté de rivalités entre entreprises chinoises pour obtenir des contrats que d’un plan géopolitique calculé. De nombreux autres projets de la BRI se sont avérés économiquement peu viables, et la Chine elle-même fait face à des pertes importantes, ce qui contredit l’idée d’une stratégie orchestrée de domination par la dette.
Ainsi, la BRI, loin d'être un instrument cohérent de puissance géopolitique chinoise, reflète des dynamiques internes fragmentées au sein de l'État chinois, où les acteurs cherchent à maximiser leurs propres intérêts économiques. Cette approche bottom-up signifie que la BRI ne peut être comprise qu’en tenant compte de la complexité des interactions entre divers acteurs locaux et internationaux, et non comme une stratégie monolithique imposée par le sommet du pouvoir chinois.
Dans ce contexte, l'analyse de la transformation de l'État offre des perspectives nouvelles pour les acteurs internationaux et les ONG, leur permettant d'interagir avec les gouvernements locaux et les régulateurs chinois pour mieux encadrer et gérer ces projets, plutôt que de simplement tenter de les contrecarrer. Au lieu d'adopter une posture de confrontation basée sur des visions réalistes qui simplifient à outrance la réalité, il devient crucial de reconnaître la diversité des acteurs et les logiques économiques à l'œuvre dans la BRI. Cette perspective permet également de proposer des solutions plus nuancées pour améliorer les résultats de ces projets, en tenant compte des besoins des pays bénéficiaires et des capacités de régulation de la Chine.
En conclusion, cette analyse critique des approches réalistes montre que la transformation de l’État offre une lecture plus précise des dynamiques de sécurité en Asie. En se focalisant uniquement sur les questions de rivalité de pouvoir et de stratégie, les analyses réalistes passent à côté de la complexité des interactions au sein des États, menant à des réponses politiques qui risquent d’aggraver les tensions plutôt que de les résoudre. Une approche plus flexible et empirique permettrait de mieux comprendre ces dynamiques et d’élaborer des politiques plus adaptées à la réalité.