Critique du modèle traditionnel de sécurité en Asie

L'approche "statistique" traditionnelle juge la gouvernance de la sécurité en Asie comme faible ou inexistante, attribuant cela à l'attachement des États asiatiques à la souveraineté et à la non-interférence. Cela a conduit à une perception selon laquelle la région régresse vers un ordre de type "westphalien", particulièrement alimentée par la montée en puissance de la Chine, perçue comme un acteur qui renforce la souveraineté nationale au détriment d'une coopération régionale plus intégrée.

La gouvernance transnationale émergente

Cependant, l’analyse de Hameiri démontre qu’une gouvernance transnationale de la sécurité émerge bel et bien, mais sous des formes inattendues pour les statistes. Les agences fonctionnelles, comme les réseaux sanitaires ou de sécurité financière, collaborent à travers les frontières pour adapter les gouvernances nationales selon des normes et processus internationaux. Ces efforts visent à transformer les institutions domestiques plutôt qu’à céder la souveraineté à des organisations supranationales. Les conflits internes entre groupes sociaux et acteurs politiques domestiques influencent ces processus de gouvernance, ce qui complique l’efficacité de cette approche.

Exemples de gouvernance transnationale en Asie

  1. Gestion de la pollution atmosphérique (Haze) : Bien qu'en partie gérée à travers les structures de l'ASEAN, la lutte contre la pollution en Asie se concentre davantage sur la transformation de la gouvernance en Indonésie.

  2. Pandémies et crime transnational : Des organisations internationales, comme l'OMS et la FATF (Financial Action Task Force), ont transformé la gouvernance domestique en matière de santé publique (cas de la grippe aviaire) et de blanchiment d'argent, sans impliquer directement l'ASEAN.

  3. Chine et gouvernance de la sécurité transnationale : Bien que souvent décrite comme résistant à la coopération internationale, la Chine participe activement à la gouvernance transnationale via des agences locales et des réseaux transfrontaliers dans le domaine de la santé (ex. le réseau MBDS pour la surveillance des maladies) et la sécurité maritime. L'exemple du réseau de patrouilles fluviales sur le Mékong montre comment la Chine étend même sa juridiction via des collaborations transnationales.

L'impact de la transformation de l’État en Chine

Les exemples chinois illustrent la fragmentation de l'État : alors que certains organes locaux privilégient la croissance économique ou la stabilité, d'autres, comme les départements de santé, se conforment aux normes internationales pour contenir les pandémies. Cette gouvernance fragmentée se manifeste aussi dans des initiatives de sécurité maritime, comme la participation de la Chine à diverses initiatives internationales contre la piraterie, souvent ignorée par les analyses centrées sur les confrontations militaires dans la mer de Chine méridionale.

Critique des analyses traditionnelles sur la Chine

Les analyses statistes, fondées sur une ontologie réaliste, tendent à voir la Chine comme un acteur monolithique, ignorant ainsi les incohérences et contradictions internes dans ses politiques de sécurité. En réalité, ces comportements contradictoires reflètent des luttes internes au sein de l'État chinois, où différentes agences poursuivent des objectifs distincts. Il est donc nécessaire d’adopter une perspective qui dépasse l'approche réaliste pour comprendre la complexité de ces interactions.

Gouvernance transnationale et économie politique

La gouvernance transnationale de la sécurité en Asie est profondément influencée par les dynamiques de l'économie politique locale. Par exemple, dans les initiatives de substitution à l’opium en Birmanie et au Laos, des entreprises chinoises se sont impliquées pour offrir des alternatives économiques aux cultivateurs d'opium. Cependant, cette politique a été dévoyée par des pratiques de corruption, exacerbant l’insécurité dans certaines régions frontalières sino-birmanes.

Conclusion : vers une meilleure compréhension de la sécurité en Asie

L’émergence de cette gouvernance transnationale, bien qu'imparfaite, doit être prise en compte dans les analyses de la sécurité asiatique. Contrairement aux visions pessimistes de la sécurité régionale basées sur une approche réaliste, ces initiatives offrent des points d’entrée pour renforcer la coopération internationale et la sécurité régionale. Adopter une perspective plus nuancée permettrait de mieux comprendre les dynamiques complexes et de proposer des solutions plus constructives que celles reposant uniquement sur la dissuasion et la réponse militaire.

En somme, l’analyse montre que la sécurité en Asie est de plus en plus façonnée par une gouvernance transnationale et des transformations internes aux États, exigeant une approche analytique qui dépasse les cadres traditionnels "westphaliens".

Modifié le: vendredi 13 septembre 2024, 18:25